Pour ceux qui veulent lire l'interview de martin :
Depeche Mode : le triomphe de la modestie
COLJON,THIERRY
Page 38
Mercredi 15 avril 2009
Rencontre exclusive avec Martin Gore, la magicien de Depeche Mode, bien content d’avoir enterré, comme Dave, ses démons.
Le Brown’s Hotel, en plein cœur du très chic Mayfair du XVIIIe siècle, à deux pas de la Old Bond Street et de ses boutiques hors de prix, ressemble à ses endroits typiquement anglais, ces clubs privés qui, il y a peu, n’acceptaient toujours pas les femmes.
C’est dans ce cadre so quiet que nous a donné rendez-vous Martin Gore. Quand on le retrouve sur le canapé dans la suite, il n’a pas changé. À 47 ans, ce très rangé père de famille vivant à Santa Barbara, a tout d’un homme normal, rien d’une rock star. Seul détail le trahissant ? Ses ongles peints en noir.
Pour le reste, on a une fois de plus passé avec le patron intelligent de Depeche Mode un moment fort agréable.
Comment expliquer que vous soyez un des rares groupes anglais des années 80 à continuer à avoir du succès tout en étant créatif ?
Je pense qu’il nous a fallu traverser de nombreuses épreuves avant de vivre ce qui, en ce moment, s’apparente à une renaissance. On n’a jamais réalisé un album dans une ambiance aussi détendue, fun, agréable. Le groupe n’a jamais été aussi bon, je pense. Le disque a été très facile à faire. L’écriture, l’enregistrement, le mixage… C’est la première fois depuis que je m’en souvien.
Qu’est-ce qui a changé au sein du groupe pour en arriver là ?
Le plus grand changement, pour moi du moins, c’est que j’ai arrêté de boire, il y a trois ans. Tout est plus facile, du coup. Avant d’entrer en studio, aussi bien Dave que moi, on avait plein de chansons déjà écrites. Ça aide à créer une bonne atmosphère. Dave aussi est devenu sobre et clean depuis maintenant treize ans. Ça crée entre nous une nouvelle camaraderie.
Qu’avez-vous appris de la crise traversée par le groupe au milieu des années 90 ?
Ça nous a pris du temps à comprendre certaines choses. On avait tous nos problèmes. Vous perdez votre objectivité du coup…
On peut dire que le chantage de Dave – qui donc vous a dit qu’il quittait le groupe si vous n’acceptiez pas de le laisser écrire des chansons – a été utile pour Depeche Mode, non ? Depuis « Playing the angel », vous lui laissez quelques titres. C’est un bon compromis qui vous a sauvés ?
Il ne faut pas oublier qu’avant Playing the angel, Dave n’écrivait pas de chanson. Il a gagné en confiance avec ses albums solo. C’est la première fois qu’il se mettait à écrire sérieusement. Il m’a accusé d’être un dictateur mais il n’écrivait rien ! Je ne lui interdisais rien mais il ne faisait rien non plus.
Comment ça se passe-t-il dès lors ? Vous choisissez parmi les chansons qu’il vous propose celles que vous aimez bien ?
Ici, ce fut comme pour Playing the angel, pour la première réunion du groupe, il est arrivé fanfaron, comme ça, très sûr de lui. Il avait quinze chansons et moi six. Il était prêt à écrire la moitié du disque. Ça change toute notre façon de faire. Finalement, il a accepté qu’on en garde trois. Dave est beaucoup plus relax.
On retrouve dans le disque ce côté un peu juvénile, avec plein de sons rappelant vos débuts et les années 80…
Oui, ce côté vintage vient du fait que j’ai beaucoup collectionné ces derniers temps de vieux synthés et drum machines qu’on a utilisés en les mélangeant à la technologie moderne. Ben (Ndlr. Ben Hillier, producteur du disque, comme du précédent) a aussi une influence primordiale sur le son de l’album. Il est très important au groupe.
Il y avait aussi l’idée de « back to the roots », non ?
Oui, il y avait de cela. Ce disque a été chouette à faire. C’est la première fois qu’on était triste de se séparer à la fin de l’enregistrement. On a fait des choses plus expérimentales qui nous ont excités.
On peut dire que ce disque est moins pop, avec des structures mélodiques moins évidentes que par le passé…
C’est dû au fait qu’on avait tellement de chansons cette fois-ci. Dès lors, vous êtes plus exigeant avec leur niveau qualitatif. Moi, je le trouve plus accessible mais il est trop frais, je n’ai pas encore la distance suffisante pour le juger. Je trouve qu’on a plus de choix de singles qu’avant tout de même.
Le fait que la crise du disque privilégie les concerts aux dépens du CD ne vous permet-il pas finalement d’avoir moins de pression des ventes et donc de faire davantage ce que bon vous semble ?
On est extrêmement chanceux d’avoir un incroyable fan base très loyal. On savait depuis longtemps que les tickets mis en vente pour la tournée se vendaient très bien. Alors qu’il s’agit de notre première tournée des stades en Europe. Cette confiance, alors que personne n’avait encore entendu un morceau du disque, nous fait chaud au cœur. En même temps, on ne veut pas non plus devenir fainéants, on veut continuer à faire des disques très contemporains. On veut plaire aux fans comme à nous. C’est pour eux par exemple qu’on publiera ce coffret collector avec l’album, plus cinq inédits, des remixes et, pour la première fois, quatorze démos remontant jusqu’à Music for the masses, plus trois DVD avec le making of, l’EPK, deux livrets. Ça sera très cher bien sûr mais je pense que c’est quelque chose que les fans veulent vraiment. Ça permet bien sûr de contourner le piratage.
Contrairement à beaucoup d’autres, vous restez fidèles à votre firme de disques, l’indépendant Mute que distribue EMI… Votre sens de la famille passe-t-il avant vos intérêts financiers ?
Oui, définitivement. Notre contrat avec Daniel Miller arrivait à son terme après Playing the angel. On pouvait faire ce qu’on voulait. On a considéré toutes les options : celle choisie par Radiohead ou l’option Live Nation. Après de longues discussions, on a décidé de rester chez Mute, surtout à cause de Daniel. On oublie trop son importance dans l’histoire du groupe. Il nous a toujours protégés. C’est un ami et notre mentor. C’est la seule personne avec qui on a jamais traité d’un point de vue créatif. Il vient en studio au moins toutes les deux semaines pour voir comment ça se passe, il écoute les mixes, il nous donne son opinion et nous laisse décider.